Une proposition de loi a été déposée le 29 septembre 2015 à l’Assemblée nationale concernant la modification de la mention du sexe à l’état civil.
L’exposé des motifs explique que depuis 1992 et la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), imposant la possibilité de modifier la mention du sexe à l’état civil au nom du droit à la vie privée (article 8 de la CEDH), cette procédure est encadrée par la jurisprudence.
La Cour de cassation exige la « persistance d’un syndrome transsexuel » et « l’irréversibilité de procédure de changement de sexe au nom de la sécurité juridique et l’indisponibilité de l’état civil ». Elle conduit pour le demandeur à se soumettre à la réalisation d’expertises médicales attestant notamment, selon les personnes, de la réalisation d’une opération chirurgicale de réassignation sexuelle ou de leur stérilisation.
Conformément à la résolution 1728 du Conseil de l’Europe, qui appelle les États membres à délivrer « des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale », la Chancellerie a pris le 14 mai 2010 une circulaire en direction des procureurs de la République leur enjoignant de ne plus ordonner de telles expertises sauf à ce que subsiste à l’examen de la requête un doute sérieux quant à la réalité du transsexualisme du requérant.
Toutefois, comme le soulève la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans son avis du 27 juin 2013, « Il apparaît que la jurisprudence est très fluctuante d’une juridiction à une autre. Alors que certains tribunaux ordonnent systématiquement une ou plusieurs expertises (médicales, endocrinologiques ou psychiatriques), d’autres tribunaux estiment suffisante la remise d’attestions de médecins reconnus pour leur compétence en la matière. La situation des personnes transidentitaires se caractérise ainsi par une grande inégalité en fonction des juridictions où sont déposées les requêtes et, partant, par une grande insécurité juridique. »
Par ailleurs, le changement de la mention de sexe demeure conditionné, aux termes des arrêts de la Cour de cassation du 7 mars 2012 et du 13 février 2013, à l’établissement du « caractère irréversible de la transformation de son apparence » par la personne demandant cette modification. Outre que l’existence même de transformations irréversibles est contestée par les médecins auditionnés pour préparer la présente proposition de loi, une telle condition semble incompatible avec la nécessité de protéger la vie privée des personnes durant la période de transition qui dure généralement entre trois et neuf ans.
C’est d’ailleurs sur ce motif que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) recommandait dès 2008 « de mettre en place un dispositif réglementaire ou législatif permettant de tenir compte, durant la phase de conversion sexuelle, de l’adéquation entre l’apparence physique de la personne transsexuelle et de l’identité inscrite sur les pièces d’identité, les documents administratifs ou toutes pièces officielles, afin d’assurer notamment le droit au respect de la vie privée dans leurs relations avec les services de l’État et également le principe de non-discrimination dans leurs relations de travail, en vue d’une harmonisation des pratiques au sein des juridictions », rejointe en 2013 par la CNCDH selon laquelle « Le droit, non seulement n’est pas suffisamment protecteur pour ces personnes, mais contribue aussi à les maintenir pendant de nombreuses années dans une situation de grande vulnérabilité sociale. C’est pourquoi la CNCDH estime nécessaire une refonte de la législation française concernant l’identité de genre et le processus de changement de sexe à l’état-civil ».
En l’absence de réponse législative satisfaisante, la France est aujourd’hui isolée sur la scène internationale où la prise en compte de la situation des personnes transsexuelles et transgenres, au regard de la possibilité de modifier leur état civil, va croissante. En attestent les textes relatifs au transsexualisme pris par des instances internationales d’envergure, dont la France est partie.
Forts de ces principes internationaux, plusieurs États ont légiféré sur la modification de la mention du sexe à l’état civil. On peut notamment citer l’Argentine, le Danemark, la Norvège et Malte où le changement est de plein droit sur simple demande. Les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Espagne, le Portugal et l’Uruguay ont adopté des législations supprimant la condition d’irréversibilité ainsi que plusieurs États des États-unis, d’Australie et du Mexique.
Cette proposition de loi propose donc d’insérer une nouvelle section dans le Code civil, intitulée « De la modification de la mention du sexe à l’état civil » et composée de 5 articles :
« Art. 61-5. – Toute personne majeure dont la mention relative à son sexe à l’état civil ne correspond pas à l’expérience intime de son identité et au sexe dans lequel elle est perçue par la société peut en demander la modification.
« Art. 61-6. – La demande de modification de la mention relative au sexe à l’état civil et, le cas échéant, de modification corrélative de prénoms, est adressée par écrit au procureur de la République territorialement compétent.
« Le demandeur produit les éléments de son choix permettant de constater qu’il remplit les conditions fixées à l’article 61-5. Constituent en particulier de tels éléments :
« 1° Les attestations ou témoignages qu’il a adapté son comportement social au sexe revendiqué ;
« 2° Les attestations ou témoignages qu’il est connu dans le sexe revendiqué par son entourage familial, amical ou professionnel ;
« 3° Les attestations qu’il a engagé ou achevé un parcours médical pour adopter le comportement social ou l’apparence physique du sexe revendiqué ;
« 4° Les documents administratifs ou commerciaux établissant qu’il est connu sous l’identité revendiquée ;
« 5° Les décisions judiciaires établissant qu’il a subi des discriminations du fait de la discordance entre son sexe à l’état civil et le sexe revendiqué ;
« 6° Les décisions judiciaires établissant qu’il a obtenu la modification de son prénom pour correspondre au sexe revendiqué.
« Le procureur de la République constate que le demandeur remplit les conditions fixées à l’article 61-5 et ordonne sous trois mois la modification de la mention relative au sexe ainsi que, le cas échéant, aux prénoms, à l’état civil.
« Si les éléments produits sont insuffisants pour constater que le demandeur remplit les conditions fixées à l’article 61-5 ou en cas de doute réel et sérieux sur la bonne foi de ces éléments, le procureur de la République saisit le président du tribunal de grande instance qui statue dans les meilleurs délais.
« Art. 61-7. – Mention des décisions de modification de sexe et de prénoms est portée en marge des actes de l’état civil de l’intéressé.
« Par dérogation aux dispositions de l’article 61-4, les modifications de prénoms corrélatifs à une décision de modification de sexe ne sont portées en marge des actes de l’état civil des conjoints et enfants qu’avec le consentement des intéressés ou de leurs représentants légaux.
« Les dispositions des articles 100 et 101 sont applicables aux modifications de sexe.
« Art. 61-8. – Toute personne ayant obtenu la modification de la mention de son sexe à l’état civil peut disposer de documents d’identité sans mention des sexes et prénoms antérieurs à cette modification. Un décret pris en Conseil d’État fixe la liste de ces documents.
« Art. 61-9. – La modification de la mention du sexe à l’état civil est sans effet sur les obligations contractées à l’égard de tiers, ni sur les filiations établies avant cette modification.
Source : Proposition de loi n° 3084 relative à la modification de la mention du sexe à l’état civil